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Construction : le bois prend de la hauteur

A Rome, les insulae, véritables gratte-ciels de l’Antiquité pouvant dépasser les sept étages, étaient faits de briques. Durant le Moyen-Age, puis la Renaissance, la pierre était privilégiée pour la construction de tours s’élevant à plus de 100 mètres. L’évolution et la maîtrise des technologies ont amené à utiliser, depuis la fin du XIXème siècle, des structures mêlant  l’acier à la brique, puis au béton. Ce sont ces deux matériaux qui, jusqu’à présent, servent toujours de base pour l’édification des gratte-ciels. Mais la mise au point d’une nouvelle technologie permet d’entrevoir une futur révolution dans le secteur du bâtiment : et si, au cours des prochaines décennies, le bois était utilisé pour ériger des immeubles dépassant les 350 mètres de haut ?

De grandes ambitions pour le bois

L’annonce, intervenue fin février, a fait grand bruit. La compagnie forestière japonaise Sumitomo a officialisé un projet de construction extrêmement ambitieux et novateur, qui marquera le 350e anniversaire de l’entreprise. Prévu pour 2041, le building, qui dominera du haut de ses 350 mètres les plus grands immeubles de Tokyo, sera composé à 10 % d’acier et à 90 % de bois. Une prouesse technique rendue possible par l’utilisation de lamellé croisé, panneau de lames contreplaquées particulièrement résistant et rendant la construction presque aussi simple qu’un jeu d’assemblage. Le building, qui abritera à la fois des bureaux et des appartements, détrônera le Brock Commons, actuel plus haut bâtiment composé de bois. Du haut de ses 53 mètres, l’immeuble, destiné à loger les étudiants de l’université de Vancouver, a été livré en 2016 et démontre la viabilité d’une telle structure.

Plus résistant que le béton, moins polluant que l’acier

Si les risques d’incendie ont, par le passé, proscrit l’utilisation du bois comme matériau de construction urbaine, l’apparition du lamellé croisé a désormais changé la donne. Sa compacité le rend particulièrement difficile à enflammer tout en garantissant une combustion très lente. Le faible impact environnemental plaide lui aussi en faveur de l’utilisation du bois.

Issu d’exploitations forestières aux rendements maitrisés, le bois permet de remplacer des matériaux tels que l’acier et le béton qui entraînent, lors de leur fabrication, une forte production de CO2. Au point de rendre le secteur du bâtiment responsable de près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre, loin devant les transports et l’industrie. Enfin, le poids réduit des constructions en bois par rapport aux structures traditionnelles autorise des fondations moins profondes tout en facilitant le processus d’assemblage.

Révolutionner les mentalités

Cela fait donc près d’un siècle que les architectes s’appuient, pour l’édification de hautes structures, sur le duo acier/béton. Une recette certes éprouvée, mais qui doit être revue à l’aune des nouvelles contraintes environnementales. Michael Green, un architecte de Vancouver qui s’est spécialisé dans les constructions de hautes structures en bois, parie sur un effet d’émulation tel que celui suscité par la construction de la tour Eiffel. La Dame de Fer, du haut de ses 300 mètres, avait provoqué l’émerveillement des visiteurs de l’Exposition universelle de 1889 et entraîné une course à la hauteur, entraînant dans son sillage la réalisation de chefs-d’œuvre architecturaux tels que le Chrysler Building ou l’Empire State Building. Le fait est que le concept d’immeubles en bois séduit de plus en plus architectes et maîtres d’ouvrage, au point que les nouveaux projets se comptent par dizaines, tous plus ambitieux les uns que les autres.

Floraison de projets

Si la construction en bois a depuis une dizaine d’années gagné les faveurs de nombreux pays, la France a, quant à elle, un certain retard à rattraper. Pourtant, le volontarisme semble de mise, comme l’a prouvé en 2017 la première édition de Woodrise, congrès réunissant tous les acteurs internationaux de la construction bois.

Le choix de Bordeaux comme ville organisatrice ne doit rien au hasard : la municipalité a en effet entériné la construction prochaine des tours Silva et Hyperion, respectivement 50 et 57 mètres, qui feront de cette dernière, lors de sa livraison prévue pour 2020, l’immeuble en bois le plus élevé d’Europe. Un record qui ne devrait pas tenir très longtemps au vu de la multiplication des projets. Selon Patrick Molinié, organisateur du congrès Woodrise, 29 tours dépassant les 50 mètres verront le jour au cours de ces trois prochaines années.

En Europe, Londres semble être la ville la plus ambitieuse, avec sa Barbican Oakwood Tower qui culminera à 315 mètres. Les techniques sont au point, mais reste encore à changer les mentalités : un sondage, effectué dans l’Hexagone auprès de 1500 personnes révèle que seuls 14 % des interrogés se montrent prêts à investir dans une construction en bois.