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Vers une ville du bien-être

Le vingtième siècle a vu se généraliser les flux migratoires vers les villes. Notre mode de vie contemporain est majoritairement urbain. En effet à ce jour, 56 % de la population mondiale vit en ville, ce qui représente 4,4 milliards d’habitants, selon la Banque mondiale. Et la tendance se poursuit puisqu’il est prévu qu’en 2050, sept Terriens sur dix vivront en milieu urbain.

Or, cette urbanisation n’est pas sans conséquences sur le bien-être de l’individu, ni même sur sa santé mentale. De nombreuses études ont ainsi établi une corrélation entre l’anxiété, le stress, voire la dépression, et la vie en ville. Selon la fondation FondaMental, l’Europe compte deux fois plus de personnes atteintes de schizophrénie en ville qu’en milieu rural.

Qui plus est, malgré l’extrême densité de population, la vie urbaine se traduit pour beaucoup par de l’isolement.  Car la ville ne dispose pas vraiment d’espaces favorables au lien social.

Ce thème était au cœur d’un webinaire organisé par le pôle « ESE » et la plateforme « santé mentale » de l’IREPS d’Auvergne – Rhône-Alpes à la Fabrique des transitions de Lyon. « La ville « fonctionnelle », où les interactions, les flux, l’espace et le temps sont imaginés et organisés selon différentes fonctions, a fait la preuve de ses limites sur la santé mentale des habitants », a souligné Etienne Régent, architecte et membre de La Fabrique des transitions. 

Des citadins déconnectés de la nature… et d’eux-mêmes

Selon lui, cette tendance a été poussée à son maximum, avec des métabolismes urbains hyper optimisés dans leurs fonctionnalités, mais déconnectés de toute expérience vivante. Selon lui, ce besoin constant d’optimisation crée du stress et des sentiments d’échecs, qui sont néfastes tant sur le plan collectif qu’individuel. Les individus sont déconnectés de la nature, de la société, et d’eux-mêmes. Les opportunités « de se projeter et d’exprimer leur capacité d’action sur leur existence et leur territoire » sont trop limitées.

Cette ville à tendance fonctionnelle ne répond en effet pas aux trois grands besoins psychologiques fondamentaux de l’Homme, tels que définis par les psychologues Deci et Ryan dans leur ouvrage « Théorie de l’autodétermination ». Ces trois besoins sont : le besoin de compétence, le besoin d’autonomie, le besoin d’interdépendance satisfaisante avec les autres. Le besoin de compétence est le fait de se sentir efficace dans ses interactions avec les autres et sur son environnement. Le besoin d’autonomie est le fait de se sentir à l’origine de ses propres comportements. Selon Maeva Bigot, psychologue sociale et cofondatrice du Psykolab, la ville favorable à la santé mentale serait celle où « l’on pourrait satisfaire ses besoins vitaux, faire des choix, mettre du sens sur les événements, se sentir en sécurité physique et affective, reconnu, pouvoir jouer, se sentir accueilli dans les espaces… ».

Un urbanisme réconcilié avec le vivant et la biodiversité

« Un urbanisme bénéfique pour la santé mentale intègre et se réconcilie avec le vivant, la biodiversité », explique Pablo Carreras, consultant en urbanisme, mobilité et santé au sein du bureau d’études et de conseil en aménagement du territoire Codra. Selon lui, il importe que la végétation soit intégrée dans la conception même des quartiers, au-delà des traditionnels parcs et jardins. En effet, l’immersion dans un espace vert apaise après une journée stressante. 

La nature est source de surprises, elle suscite des émotions spontanées, et permet de rompre avec la routine du quotidien. Elle favorise également les rencontres. « Les arbres, les îlots de fraîcheur, où jeunes et moins jeunes peuvent s’installer, retissent notre capacité à vivre ensemble. Le patrimoine végétal apporte un bien-être immédiat », précise Sonia Lavadinho, anthropologue urbaine.

Cette dimension pourrait être intégrée dans une permaculture urbaine selon Etienne Régent. Une expérience menée par le cabinet Happy City à Vancouver, a démontré que les jardins partagés, et plus globalement les espaces publics réappropriés par les habitants réduisent le stress, renforcent le bien-être des habitants, et favorisent la confiance en autrui tout en augmentant le sentiment d’appartenance.

A l’heure où l’OMS annonce qu’un quart de la population sera touché au cours de sa vie par un trouble mental, il semble crucial d’intégrer cette notion de santé mentale dans la conception de la ville. Ceci suppose de prendre en compte les besoins et désirs de ses habitants, voire de co-construire des projets avec eux. A ce prix-là seulement on peut espérer faire émerger une ville alliant développement durable et bien-être mental.

Sources des photos : lemonde.fr