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Ernest Pignon-Ernest : des œuvres qui habillent nos rues depuis plus de 40 ans

À Soweto ou à Naples, à Paris ou à Alger, Ernest Pignon fut l’un des premiers à sortir l’art dans la rue. Zoom sur le parcours d’un artiste militant et pionnier de l’art urbain.

Né à Nice en 1942, Ernest Pignon est encore adolescent lorsqu’il commence à travailler pour des architectes. Mais sa passion pour le dessin ne se limite pas à l’architecture et celui qui deviendra bientôt connu sous le nom d’Ernest Pignon-Ernest rêve plus grand. Une ambition et une sensibilité qui le poussera à démocratiser une catégorie artistique encore inconnue en France : le street-art.

L’artiste engagé

Bouleversé par les travaux de Picasso, Le Greco ou encore Bacon, Ernest Pignon se met à la peinture en parallèle de l’architecture. Soldat en Algérie entre 61 et 62, sa conscience politique s’aiguise de plus en plus et malgré le poids des fusils, il continue à faire danser les pinceaux.

De retour en France, il quitte Nice en 66 pour s’installer dans un café désaffecté du Vaucluse qu’il transforme en atelier. Et justement, la métamorphose de bâtiment et du paysage urbain va rapidement devenir le cœur du cheminement artistique d’Ernest Pignon-Ernest.

C’est dans là qu’il commence à faire parler de lui en apposant ses images aux murs des grandes villes, à la fois échos de l’histoire des lieux et porte voix de ses engagements politiques. Dans les plateaux d’Albion, il y dénonce l’installation de missiles nucléaires. Sur les murs, routes, et rochers du Vaucluse commencent à apparaître les « empreintes» d’Ernest Pignon. Des pochoirs terrifiants reproduisant la photo des lendemains d’Hiroshima et Nagasaki, où les hommes sont déchirés par l’enfer nucléaire.

La plupart de ses collages étant politique et en résonance avec l’actualité, sa notoriété grimpe en flèche. Parmi les thèmes traités, l’avortement, le SIDA ou le racisme sont récurrents. Notamment en 1974 lorsque sa Nice natale est jumelée avec le Cap, capitale législative de l’Afrique du Sud et centre mondial du racisme institutionnalisé. Furieux, il colle alors sur les murs des images d’une famille noire, grandeur nature, parquée derrière des grillages. Des cortèges d’opprimés par l’apartheid auxquels Ernest Pignon tente de redonner un peu de voix.

L’art de rue

Aux côtés de Daniel Buren et Gérard Zlotykamien, Ernest Pignon-Ernest est devenu l’un des fondateurs du street-art en France, bien qu’il s’en défende. 

Pour lui, l’œuvre artistique ne tient pas forcément à ses dessins, mais plutôt aux lieux qui lui servent de toiles. D’ailleurs, Ernest Pignon travaille autant comme un historien que comme un artiste, collectionnant les ouvrages sur les mythes locaux, l’histoire et l’urbanisme avant d’apposer ses images. Preuve d’un respect et d’une minutie absolus.

Pour sa série sur Naples par exemple (quelque 300 images disséminées entre 1988 et 1995), l’artiste avoue avoir étudié 92 livres traitant de l’histoire de la ville. Un travail de mémoire et de longue haleine, pour être certain de saisir toute la complexité des lieux qu’il désire investir. En effet, Ernest Pignon-Ernest ne choisit pas les lieux au hasard. Uniquement ceux où résonne l’histoire sont élus pour faire retentir le message de l’artiste.

Les lieux étant indissociables de l’œuvre, Ernest Pignon-Ernest a d’ailleurs souvent rappelé que son travail se visite dans les rues, et non dans les musées.

Passé à la postérité mais toujours d’actualité

Aujourd’hui, Ernest Pignon-Ernest vit à Paris et travaille dans son atelier d’Ivry. Certaines de ses œuvres réalisées il y a plus de quarante ans font encore écho aux événements de nos sociétés contemporaines. Sa série sur les expulsés par exemple (de 1977 à 1979), fut largement redécouverte par le public lors de la crise des migrants de 2016.

Par ses créations, Ernest Pignon-Ernest continue ainsi de réveiller la mémoire collective. Bien plus que symboliques, certaines de ses œuvres sont en effet devenues iconiques, comme les portraits de Rimbaud affichés dans Paris et Charleville (ville natale de l’écrivain), désormais reproduits par milliers d’exemplaires à travers de nombreuses villes.

Photos : fifdh.org/