Une ville où il fait bon s’asseoir
A l’heure où les villes multiplient les espaces piétons, urbanistes et élus rattrapent enfin leur retard en pensant à de nouveaux lieux pour s’asseoir. A Londres, comme à Paris ou à Toulouse, fini le temps de la lutte sans merci contre les SDF ; les bienfaits de la pause et de la convivialité sont réhabilités.
Que sont devenus nos bancs publics ? Depuis les temps pas si anciens où Brassens les chantait, ils se sont bien raréfiés. Il faut dire que ces dernières décennies ont vu croître le nombre de sans-abris dans nos villes, pour qui les bancs publics sont parfois devenus des refuges à défaut de mieux.
En se focalisant sur la lutte anti-SDF, les municipalités ont redoublé d’ingéniosité pour empêcher qui que ce soit de pouvoir s’allonger, voire même de s’asseoir en ville. Piques, arceaux, galets de pierre, grillages, pans métalliques inclinés au pied des immeubles… des dispositifs qui se sont multipliés à Paris et en province. Tant et si bien que le confort des citadins en fut presque oublié.
Pour pallier ce vide, « l’hacktiviste urbain » Florian Rivière appelait en 2012 à hacker l’espace public, invitant les citadins à construire eux-mêmes un banc public, une table ou une balançoire à l’aide de matériaux récupérés. Si l’idée n’était pas pérenne, elle avait au moins le mérite d’être ludique et d’interpeller les pouvoirs publics.
L’hospitalité urbaine, une nécessité
A Londres, des citoyens se sont mobilisés pour dénoncer ces pratiques anti-SDF. En quelques heures, 90.000 signatures étaient recueillies pour protester contre des piques installées devant l’entrée d’un immeuble londonien à Southwark. Alors maire de Londres, Boris Johnson avait renchéri en qualifiant ces piques de « moches, inefficaces et stupides » et plaidant pour leur retrait.
Dans la foulée, en France, un collectif regroupant le politologue Sébastien Thierry, l’urbaniste Yoann Sportouch, l’architecte Roland Castro et Jacques Bérès, cofondateur de Médecins sans Frontières, interpellait en octobre dernier les élus dans une tribune dans le Huffington Post « A Paris comme à Londres : halte à la ville hostile !» Ils appelaient ainsi les mairies à se réveiller et « s’engager pour l’hospitalité urbaine et construire le nécessaire espace commun, qui relie et rend libre, propice à l’invention et au « faire ensemble ». »
Il semble que le message soit passé. Les concepteurs de mobiliers urbains offrent aujourd’hui une nouvelle gamme de sièges en alternative aux bancs publics. A Paris, J.C. Decaux a installé dans plusieurs arrondissements de Paris (6e, 16e, 18e et 19e) des plots blancs, posés autour de certains arbres, non loin d’abribus. « On peut les implanter au cas par cas, autour des arbres ou de façon isolée » explique leur designer, Marc Aurel, qui vente leur côté convivial. Car là où le banc obligeait à être côte à côte, on peut à présent s’asseoir face à face.
Des fauteuils comme à la maison
A Toulouse, l’urbaniste catalan Joan Busquets a pour sa part conçu des chaises en métal et bois qu’il a installées au beau milieu d’une rue piétonne, la rue Pargaminières. Les Toulousains ont rapidement adopté ces nouveaux sièges, qui ont envahi d’autres places de la ville, où l’on s’assoit « comme à la maison » et qui incite dans le même temps à la conversation et la convivialité.
Dans cette veine créative, le fabricant toulousain Area a dessiné une large gamme de bancs et autres mobiliers urbains esthétiques, chaises en vis-à-vis, tabourets, chaises longues… qui sont aujourd’hui présents dans 18.000 communes françaises.
A l’heure où la ville devient de plus en plus « marchable », il était plus que temps de redonner aussi des espaces de pause. Qu’il s’agisse de reprendre son souffle, de manger un sandwich ou rencontrer les autres.
Alors, tant mieux si les élus l’ont compris, et donnent une chance à la ville de devenir plus « asseyable » et donc tout simplement plus vivable et… plus humaine.