Valérie Belin : la photographe aux mille visages
Le centre Pompidou expose le travail troublant de l’incontournable photographe Valérie Belin. Visages figés qui font penser à des masques et portraits au –delà du réalisme, l’exposition est à contempler jusqu’au 14 décembre.
Ses mannequins sont en cire mais donnent l’impression de vivre, voire de bouger. Ses visages sont bien humains mais restent figés. Valérie Belin expose une trentaine de photos parfois dérangeantes au centre Pompidou jusqu’à mi-décembre. Entre réalisme et réalité, la photographe française pousse les limites du réel pour questionner la perception du monde qui nous entoure.
Les photos les plus spectaculaires que l’on peut admirer restent sûrement la série rassemblant des sosies de Michael Jackson. Alors que ces derniers ne sont en réalité par convaincants, les efforts de mimétisme déployés sont très visibles (maquillage, postiches, traces de chirurgie plastique…) pour nous montrer la métamorphose du corps s’approchant d’un canon de beauté blanche.
Appartenant à un cycle d’œuvres destinées à interroger le réel et commencé en 2014, les photos exposées au cabinet d’arts graphique du centre Pompidou font appel à la figure et son modèle. Ainsi, des femmes noires se dressent comme des statues de bois exotiques et des fruits brillent comme des objets en plastique.
Jouer avec l’apparence des êtres et des choses
Valérie Belin, née en 1964, vit et travaille à Paris. Elle excelle dans la technicité de son médium, la photographie, dont elle ne se sert pas pour montrer la réalité mais plutôt la rendre confuse et s’interroger sur la beauté. Diplômée de l’école des beaux-arts de Bourges, elle a également obtenu un diplôme de philosophie de l’Art à La Sorbonne. Depuis la fin des années 1980, Valérie Belin se consacre à la photographie moderne et contemporaine.
En 2001, elle réalise une série de portraits en noir et blanc de femmes noires vêtues de t-shirt blancs, qui leur donnaient l’impression de disparaître de la photo et l’allure de buste sacrés, presque absents et « choséifiés ». Pourtant, l’apparence du grain de peau des visages trahissaient leur humanité.
Deux ans plus tard, l’artiste photographe se consacre au principe inverse et réalise « Mannequins », un projet dans lequel elle fait poser des mannequins de cire en plastique avec des faux cheveux et des yeux de verre. En maniant parfaitement la technique, elle réussit le tour de maître de les rendre mélancoliques, presque tristes. En émouvant le spectateur, Valérie Belin le fait passer d’un mannequin artificiel à un masque animé.
Grâce à l’apparition du numérique, l’artiste est aujourd’hui à la croisée des chemins entre humanité et robotique. Dans sa série « Super Models » dévoilée cette année, la photographe travaille avec des mannequins, des femmes et des formes abstraites qui ne se préoccupent même plus de l’humanité des personnages. Entre le statuaire et l’humain, dans un monde glacial, aucune identification n’est possible pour le spectateur, ce qui crée souvent cette impression de gêne. Chez Valérie Belin, les silhouettes deviennent étrangement dérangeantes dans un monde pourtant familier. La perfection de la beauté, les regards figés et fardés se retrouvent confrontés numériquement à des natures mortes, géométriques, et lourdes de sens.
La longue attente
Devant ces photographies étranges et ce travail parfois provocant, la scène artistique s’est montrée réticente. Il aura fallu une vingtaine d’années avant qu’une institution ose consacrer une rétrospective du travail de Valérie Belin.
En 2008, la Maison européenne de la photographie (MEP) de Paris a ainsi présenté une sélection d’œuvres réalisées par l’artiste depuis les années 90. Mais cette dernière n’avait pas attendu avant de se tracer une carrière qui compte parmi les plasticiennes contemporaines les plus singulières. Le MoMA de New York, par exemple, n’a pas autant hésité que la MEP pour la mettre à l’honneur dans ses collections. Elle a également vu ses œuvres exposées à Londres et Montréal.
Valérie Belin travaille généralement en noir et blanc et se base sur son intuition pour commencer ses séries. Ses idées floues deviennent de plus en plus concrètes au fur et à mesure de ses promenades et escapades diverses. Ses concepts, elle les puise dans la sculpture minimaliste. Elle utilise beaucoup les techniques actuelles de retouche et de modification des photos pour façonner ses objets comme le ferait un peintre. D’ailleurs, elle superpose la peinture et la photographie dans certaines de ses collections. En 2004, elle a remporté le prix Marcel Duchamp, qui récompense un jeune artiste et lui permet d’organiser une exposition au centre Pompidou. C’est donc chose faite !