Theaster Gates ressuscite les quartiers désœuvrés de Chicago
Frappés de plein fouet par la crise des subprimes de 2007, certains quartiers du sud de Chicago semblaient promis à un inéluctable déclin. Les petites maisons de brique, parfois centenaires, se sont peu à peu vidées de leurs occupants, cédant la place aux consommateurs de crack et aux squatteurs. La vision de ces rues désertes où seuls quelques habitants semblaient littéralement hanter les lieux, a suscité la réaction d’un jeune artiste militant. Depuis dix ans Theaster Gates, qui est né, a grandi et a toujours vécu à Chicago, a décidé de contribuer à la résurrection de ces zones urbaines délaissées par une municipalité financièrement exsangue.
Theaster Gates : la renaissance par l’art
C’est en faisant l’acquisition d’un bungalow à l’abandon que Theaster Gates a entamé son combat de réhabilitation. Située en plein cœur du ghetto noir de South Side, la petite maison lui est cédée pour 16 000 dollars. C’est Theaster qui, par ses propres moyens, retape la maison, l’agrémente d’une jolie façade en bois et y loge les 14.000 ouvrages récupérés dans une librairie abandonnée. Les travaux terminés, le bungalow, rebaptisé « The Archive House », ouvre ses portes au public. Car il ne s’agit pas d’un simple travail de restauration et la vision de Theaster Gates va bien au-delà. Selon lui, seuls l’imagination, la beauté et l’art peuvent sauver les quartiers de leur lente agonie. En créant des pôles d’attraction culturels, Theaster Gates entend bien favoriser les échanges entre habitants et redonner vie à un maillage socio-culturel jusqu’alors bien mal en point.
« In Art we trust »
Depuis, la quête de ce militant n’a cessé de prendre de l’ampleur. La vente de ses créations artistiques, très en vogue, lui permet de financer de nouvelles acquisitions immobilières. Très impliqué dans la lutte contre le racisme, ses œuvres questionnent sans cesse le passé ségrégationniste de son pays. Le bois qui n’a pas été utilisé pour son premier bungalow a ainsi été transformé en tabourets de cireurs de chaussures, travail exercé, au siècle passé, par la classe laborieuse afro-américaine. Cette création s’est vendue plusieurs milliers de dollars, de même que d’anciens urinoirs récupérés dans une banque, ornés de la devise « In Art we trust ». À peine son bungalow terminé, le voilà acquéreur d’une propriété sur Dorchester Avenue, elle aussi réhabilitée, remplie d’une riche collection de vinyles et rebaptisée la « Listening Room ».
Remodeler le quartier de Dorchester
Depuis, Theaster Gates n’a pas dévié de sa philosophie : faire du South Side Chicago un lieu unissant les artistes aux habitants, au sein d’un projet nommé « Dorchester Project ». Le quartier, miné par trois décennies de pauvreté et de crime, reprend grâce à lui des couleurs. Avec un tel succès que le maire de Chicago lui a cédé, en 2013 et pour un dollar symbolique, le vaste édifice à l’abandon qui abritait autrefois la « Stony Island Arts Bank». La rénovation du bâtiment, qui était fortement dégradé, est en cours de finalisation, et attire nombre de volontaires bien décidés à contribuer au mouvement initié par Theaster Gates. Une galerie d’art, une bibliothèque, un lieu de rencontre et une exposition permanente d’objets à caractère raciste, témoins de la stigmatisation de la communauté noire, y ont d’ores et déjà trouvé place.
« Un trésor pour la cité »
Cadet d’une famille de neuf enfants, dont il est le seul garçon, son entourage lui a permis d’assimiler dès son plus jeune âge les valeurs qu’il défend aujourd’hui. Sa mère, institutrice, a fait de lui un lecteur compulsif et amoureux des livres. Son père, couvreur, pour qui il a travaillé durant son adolescence, lui a enseigné la droiture et la noblesse du travail manuel. Ses sœurs, quant à elles, toutes sympathisantes du Black Power, l’ont ouvert au militantisme. Après des études en urbanisme et en science des religions, Theaster Gates se tourne vers la création plastique et entame une carrière de potier. Ce parcours, a priori éclectique, résume à lui seul les intérêts vers lesquels tend l’artiste. Son investissement pour sa ville, qui fait de lui, selon le maire Rahm Emanuel, un « trésor pour la cité », a été salué tant au niveau local qu’international. Des projets identiques, menés sous sa supervision, ont fleuri à Gary, dans l’Indiana, à Akron, dans l’Ohio, ainsi qu’à Saint Louis dans le Missouri.
Volonté salvatrice
Les enjeux méritent de la part de l’artiste une attention constante afin de ne pas transformer un quartier pauvre en nouveau quartier chic. Le but n’est pas de réaliser une gigantesque plus-value immobilière, comme cela s’est déjà vu dans certaines localités depuis les années 1980. De nombreux spéculateurs se sont approprié de vastes locaux, les ont transformés en lofts loués à prix modiques à des étudiants en art, et se sont empressés de les revendre dès que la côte du quartier est remontée. Pour Theaster Gates, il s’agit plutôt de reformer le tissu social et de démontrer aux habitants que l’art peut être partout, y compris dans les maisons voisines.
Aujourd’hui âgé de 43 ans, l’artiste, qui occupe une chaire à l’université de Chicago, est sur le point de démontrer que le pouvoir de la culture et de l’imagination peut concrètement améliorer la vie de ses concitoyens.