Quel devenir pour les villes fantômes chinoises ?
Elles ont pour nom Lingang, Kangbashi ou Nanhui. Toutes sont nées de projets ambitieux instaurés dans les années 2000 pariant sur un rapide et inéluctable exode rural. Créées de toutes pièces, parfois au prix de travaux de terrassement titanesques, ces villes, conçues pour accueillir des centaines de milliers d’habitants, soulèvent l’épineuse question d’un développement urbain jugé trop ambitieux. Mais s’agit-il pour autant d’échecs, et toutes ces mégalopoles sont-elles destinées à rester désertes ?
Chine city 2000
Tout commence à l’aube des années 2000, lorsque la croissance économique intérieure chinoise connaît un « boom » inédit. Dans le même temps, le pays accède au rang de superpuissance mondiale, et voit le nombre de ses exportations bondir. Le secteur industriel se développe, entraînant la construction de gigantesques usines drainant une main-d’œuvre quittant la campagne. C’est dans ce contexte que sont élaborés les plans de nouvelles agglomérations destinées à faire face à cet afflux de travailleurs.
Une aubaine pour les gouverneurs de provinces, qui voient par ces créations ex-nihilo une étape vers la prospérité de leur région. De grands travaux sont entamés, des investisseurs sont trouvés et des prêts sont contractés : en l’espace de quelques années, des dizaines d’agglomérations sortent de terre, villes nouvelles où rien ne manque. Rien hormis les habitants !
Des villes qui frappent l’imagination
Métropoles aux larges autoroutes sans véhicule, avenues s’étendant à perte de vue et vides de tout passant, bâtiments neufs à l’aspect prématurément usé ou encore fêtes foraines aux manèges rouillés recouverts par les herbes folles… Ces villes fantômes ont très vite suscité la curiosité des médias étrangers et des explorateurs urbains ravis de photographier ces lieux hors du commun. Nombreux sont les reportages consacrés à ces mégalopoles qui ont grandi trop vite, trop grand. Avec toutefois cet aspect inédit : alors que l’imaginaire conçoit une ville fantôme comme ayant été abandonnée par ses habitants, à l’instar de Pripiat en Ukraine ou de Hashima au Japon, les villes fantômes chinoises, elles, sont des cités neuves attendant d’accueillir des résidents.
Mais il s’agit toutefois d’opposer, au sensationnalisme de plusieurs publications, une vision urbaine bien différente : et si ces villes considérées comme fantômes n’étaient au contraire qu’une anticipation d’un avenir plus radieux ?
Construire d’abord, attirer ensuite
Bâtir des villes inhabitées n’a certes pas été le projet premier des gouverneurs chinois et des promoteurs qui espéraient un rapide retour sur investissement. Le ralentissement de la croissance économique du pays, que le gouvernement central a qualifié de « nouvelle normalité », a contrarié les projets de croissance démographique urbaine. L’exode rural, dont le pic est attendu aux alentours de 2025, semble quant à lui ralentir et déjouer les pronostics.
L’offre foncière s’est donc retrouvée bien au-delà de la demande, passant de 9,94 millions de m² en 2007 à 17,66 millions en 2014. Et rien n’aura été fait pour stopper cette course au foncier, chaque région pariant sur une chance que n’auront pas eue leurs voisines.
Des villes pas si fantômes
Et de la chance, certaines en ont eu, comme le démontrent la majorité des exemples. Il en va ainsi de la ville de Kangbashi, située dans la préfecture de Mongolie-Intérieure. Conçue en 2004 comme une extension de la ville minière de Dongsheng, cette cité destinée à accueillir les classes moyennes et supérieures n’a au cours de ses premières années d’existence attiré que 30 000 habitants, alors que sa capacité en laissait espérer dix fois plus. Figurant l’exemple même de la ville fantôme, Kangbashi est aujourd’hui peuplée par plus de 150.000 résidents et héberge 4 750 entreprises.
La mégalopole de Lingang, qui devrait attirer 800 000 habitants autour d’un gigantesque lac artificiel, a elle aussi suivi un schéma identique. D’abord vides, les immeubles se sont remplis à la faveur d’une université comptant plus de 100.000 étudiants. S’en est suivi un cercle vertueux qui a vu s’installer en grand nombre commerces et entreprises. C’est sur ce modèle qu’ont fini par prendre vie la plupart des villes qui étaient qualifiées, de manière un peu péremptoire, de « villes fantômes ».
Une phase de transition plus ou moins longue
Cette vision chinoise de la politique urbaine et foncière se situe donc à l’opposé de ce qui se pratique dans le reste du monde. Alors qu’ailleurs, les villes se développent peu à peu autour de leur centre historique, la Chine privilégie les créations nouvelles, qui naissent équipées de toutes les infrastructures nécessaires aux grandes villes. S’affranchissant ainsi d’une partie des problèmes d’aménagement que ne manquent pas de connaître les mégapoles déjà existantes. Cette logique n’est pas exempte de défauts puisqu’il s’agit de projets basés sur un accroissement constant de la population urbaine ainsi que sur une économie florissante. D’où quelques à-coups dans les démarrages de Jing Jin City ou du district d’affaires de Tianjin.
Une batterie de mesures va prochainement voir le jour, incitant les citoyens chinois à se loger dans ces nouvelles agglomérations. La mise en place d’allocations, la création de logements sociaux et une réforme visant à faciliter l’obtention de prêts bancaires devraient encourager habitants et entreprises à peupler ces villes. Si certaines ont d’ores et déjà atteint leur capacité résidentielle, d’autres, moins avantagées, devraient mettre plusieurs années, voire des décennies avant d’être pleinement opérationnelles. Et pourront à juste titre être considérées, durant cette période, comme de véritables villes fantômes.