La Mecque : L’incroyable métamorphose d’un des plus grands lieux de pèlerinage du monde
En quinze ans, l’incessante activité des grues a profondément remodelé le premier lieu saint de l’Islam ; au point de menacer son authenticité ?
Avec plus de trois millions de pèlerins chaque année, la Mecque est le premier lieu sacré de la religion musulmane. Y faire le pèlerinage est d’ailleurs un des cinq piliers de l’Islam (Hajj). Face à l’afflux massif de visiteurs, notamment lors du mois du Ramadan et la période de grand pèlerinage, les autorités ont jugé nécessaire que la vieillissante ville se dote des infrastructures à la hauteur de l’évènement qu’elle accueille. Depuis une quinzaine d’années, le bruit des engins de construction et le bal incessant des grues ont perturbé les chants religieux et spectaculairement modifié le paysage urbain pour laisser place aux tours, grands axes, hôtels ou autres centres commerciaux.
Mais l’importante modernisation de la ville ne serait pas sans sacrifices et emporte paradoxalement avec elle les vestiges historiques d’une cité pourtant culturellement importante pour les Musulmans. Qu’en est-il du patrimoine culturel de l’Islam? Peut-on moderniser en profondeur une ville dont l’intérêt est essentiellement fondé sur son authenticité ?
La Mecque : de village à métropole mondiale
En 2012 est inauguré le vaste complexe Abraj-Al-Bait, un projet d’envergure comprenant sept gratte-ciels, dont au centre, l’immense Makkah Royal Clock Tower culminant à 600 mètres. L’édifice, largement inspiré du célèbre Big Ben de Londres, mais maintes fois plus haut que ce dernier, peut se targuer d’être la plus haute et la plus large horloge du monde (40 mètres de diamètre), et parmi les cinq bâtiments les plus élevés de la planète.
Le complexe imaginé par la société libanaise d’architectes Dar Al Handasah, dont le chantier a duré 8 ans pour un coût de plus de 1,6 milliard de dollars, comprend plusieurs hôtels cinq étoiles, de vastes centres commerciaux, des salles de prières pour accueillir jusqu’à 200 000 fidèles, un parking de 12000 places, ou encore 4500 boutiques, le tout sur une superficie de 230 000 m². Une immensité qui le rend d’ailleurs facilement visible à plusieurs kilomètres à la ronde.
L’ensemble des tours n’est qu’une partie du vaste projet de réhabilitation du pourtour du Haram, le programme immobilier Jabal Omar, qui inclue également l’élargissement du site de la grande Mosquée et de ces alentours. Au total, selon le journal Arab News, ce serait plus de 3 milliards de dollars qui auraient été débloqués par le prince Abdullah pour le lancement du projet.
Un tel changement est surement difficile à réaliser pour les plus anciens, qui doivent avoir du mal à reconnaitre une ville qui à l’origine était un village commerçant d’Arabie, où les bidonvilles et l’insalubrité étaient présent jusqu’au début des années 2000 !
Un développement perpétuel dangereux pour le patrimoine
En constante évolution depuis le VIIème siècle, le Haram a vu sa capacité se multiplier monstrueusement. En effet, le lieu saint passa de 568m² à sa création à 2 millions de mètres carrés aujourd’hui! Le lieu étant destiné à attirer toujours plus de fidèles, il était important de développer tout le pourtour du site, afin de faciliter l’accès aux services pour l’important flux de visiteurs qu’il attire. Si la volonté de rester au plus près des fidèles est justifiée, la construction proche du cœur de la Mecque entraine malheureusement des pertes. Le complexe des tours Abraj-Al-Bait a effectivement été construit à la place de l’ancienne forteresse d’Ajyad qui datait du XVIIIème siècle. En outre, 580 bâtiments ont été rasés pour permettre la construction de nouvelles tours résidentielles.
Mais les dommages les plus importants du patrimoine saoudien sont à déplorer par les travaux d’agrandissement de la grande Mosquée. La polémique concerne d’importantes parties de l’édifice religieux, qui ont été rasées pour permettre l’élargissement de la Mosquée ou simplement la construction de… toilettes publiques ! Rien n’y échappe, même le lieu de naissance du Prophète devrait être détruit.
Des voix s’élèvent contre la disparition du patrimoine religieux et culturel saoudien, mais rien ne semble arrêter la frénésie capitaliste qui s’est emparée de la ville, à l’image de la construction prochaine du plus grand hôtel de luxe au monde, le complexe Abraj Kudaj, qui comprendra pas moins de 10 000 chambres, 70 restaurants et quatre héliports sur douze tours. Le projet à 2,3 milliards de dollars, entièrement financé par l’Etat saoudien, devrait voir le jour en 2017.
Avec l’augmentation constante du nombre de pèlerins, il est devenu vital pour la sécurité des fidèles de développer infrastructures et hébergements pour remplacer les vieillissants immeubles qui occasionnaient fréquemment des effondrements ou des incendies. Pour des raisons économiques également, la zone autour du Haram étant devenue l’une des plus chères du monde (100 000€ le mètre carré). Il a donc fallu rentabiliser l’espace, quitte à renier certains aspects du patrimoine et froisser certains pratiquants rigoureux.
Alors qu’on cherche encore le nombre exact de morts qu’il y a eu lors du drame du 11 septembre 2015, la modernisation de La Mecque est donc en quelque sorte un « mal nécessaire ». Inch’Allah !