L’arrosoir arrosé (et autres objets farfelus) de Katerina Kamprani
Imaginez l’espace d’un instant un arrosoir dont la pomme est tournée vers le réservoir, une assiette couverte de poils, une fourchette dont le manche est une chaine ou dont les dents sont tordues dans tous les sens ou encore une paille fermée aux deux extrémités…Si ces objets vont laissent perplexes, interloqués, intrigués – et à coup sûr, ils le feront – c’est que Katerina Kamprani aura réussi son coup car c’est exactement le but de sa collection d’objets « inconfortables ».
L’architecte et modéliste 3D basée à Athènes s’est amusée à faire perdre leur fonction aux objets du quotidien en détournant la caractéristique ou le qualificatif incontournable qui leur confère leur utilité. Le parapluie, un objet qui par essence doit être léger pour être porté au-dessus de la tête, se change en pierre. Le cintre, qui a pour fonction de faire le lien entre nos vêtements et la barre de notre penderie se retrouve avec une arroche tournée vers le bas ou placée n’importe comment, le rendant incompatible avec notre dressing et notre garde-robe. L’oréo, cette gourmandise à l’onctueuse crème encadrée de deux biscuits dont la réputation n’est plus à faire, se retrouve inside-out : la délicate crème censée à présent protéger le biscuit…
« Inconfortables » sonne plutôt comme un très gros euphémisme tant les objets tels que la modéliste les a conçus sont en réalité totalement dysfonctionnels et inutilisables. Incapables de remplir la mission pour laquelle ils ont été inventés, ils sont devenus totalement inutiles. Et c’est précisément lorsque ces objets dont le seul dessein est de nous servir nous sont rendus impossibles à utiliser que l’on se rend compte de leurs propriétés. Ce que l’on prenait pour acquis nous est soudain soustrait, nous laissant dans une position pour le moins… inconfortable.
S’interroger sur l’essence d’objets communs
La collection de Katerina Kamprani, imaginée en 2009, nous invite à redécouvrir ces objets tellement communs et banals qu’on ne réfléchit même plus à leur fonction. Elle nous pousse à s’interroger sur leur essence et surtout à prendre conscience de l’expérience que nous vivons à travers eux, de la nature de notre interaction avec eux.
La conception de ces détournements suit un rituel bien rodé. La modéliste choisit son objet, qui doit être simple et avoir des fonctionnalités évidentes. Elle analyse ses attributs et la série d’actions menées par un utilisateur avec cet objet. Enfin, et c’est sa phase de conception favorite, elle réfléchit au moyen de détournement de ces fonctionnalités qui serait le plus déroutant pour le public.
Ensuite, elle « sabote tout en une seule étape ». Afin de définir quel angle de vue a le plus d’impact, l’architecte réalise plusieurs croquis et utilise celui qu’elle trouve le plus efficace pour réaliser la modélisation en 3D grâce a Photoshop. Pour le moment, tous les objets de sa collection, hormis les couverts, n’existent que sous forme digitale mais elle vient de commander son tout premier prototype: l’arrosoir arrosé, objet phare de sa collection qui porte si bien son nom.