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Du vin, des homards et des chanteuses à bord du train de Kim Jong-un

C’est un train pas comme les autres qui est entré en gare de Pékin ce lundi 26 mars, suscitant la curiosité des badauds qui se sont pressés autour des 21 wagons verts et jaunes aux vitres teintées. En provenance directe de Corée du Nord, ce train auréolé de mystère a transporté Kim Jong-un à Pékin pour une rencontre avec le président Xi Jinping, faisant de ce voyage la première visite du « brillant camarade » hors de ses frontières depuis son accession au pouvoir en décembre 2011. L’utilisation de ce surprenant moyen de locomotion, un train blindé qui relève à la fois de la merveille technologique et du plus flagrant archaïsme, donne l’occasion d’en retracer l’historique et d’en explorer les wagons.

Locomotive du pouvoir

C’est sous le règne de Kim Il-sung, le fondateur du régime, que la construction du mystérieux train vert a été décidée. Très méfiant vis-à-vis du transport aérien, Kim Il-sung a toute sa vie privilégié le rail pour ses déplacements tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Pour des questions de sécurité, mais aussi, selon la mythologie du régime, pour honorer un moyen de transport qui avait, durant la guerre de Corée, sauvé la vie de celui qui n’était pas encore devenu le « Président éternel ».

S’engagent alors de vastes travaux visant à créer un réseau ferroviaire privé réservé à la seule dynastie des Kim, 20 gares reliant Pyongyang aux principales villes ainsi qu’aux nombreuses résidences secondaires des dictateurs. La Corée du Nord demeurant le pays le plus fermé au monde, les seules informations ayant pu filtrer à propos de ce train proviennent soit des services secrets sud-coréens, soit des rares personnes, officiels ou journalistes, à avoir eu l’honneur de monter à son bord pour accompagner le leader suprême.

Un palais sur rails

Quelles sont les informations disponibles sur ce train ? Ou plutôt ces trains, puisque chaque trajet rassemble trois convois distincts. Les wagons ouvrant la marche transportent une centaine d’officiers de sécurité, chargés de vérifier l’état des rails et d’inspecter les gares à la recherche de bombes ou de menaces potentielles. L’intendance, avec nourriture et bagages, ferme la voie. Et, au milieu, circule le train du « grand camarade », composé de voitures blindées construites pour la plupart sous la présidence de Kim Il-sung. De rares reportages de la télévision nord-coréenne ont permis d’entrevoir quelques-uns des wagons qui constituent ce convoi très particulier : une salle de conférence, de luxueux salons aux murs ornés d’écrans plats ainsi qu’un restaurant se dévoilent à la faveur des caméras.

Quelques témoignages permettent de pallier la carence d’images. Konstantin Pulikovsky, ancien diplomate, a pu monter à bord du fameux train lors du déplacement de Kim Jong-il en Russie, en 2011. Un livre a été tiré de cette expérience, « Orient Express », dans lequel M. Pulikovsky décrit un voyage très agréable en compagnie du dictateur, « un mec sympa » , fin gourmet et sensible au charme de jeunes chanteuses. L’ambiance à bord ne semble pas déplaisante : profusion de vins français, chef cuisinier capable de réaliser les meilleures recettes russes, chinoises, coréennes, japonaises et françaises, et chœurs reprenant à tue-tête les meilleures chansons de la République populaire démocratique de Corée.

Alliance du clinquant et du désuet

La publication de cet ouvrage avait à l’époque fait grand bruit, la Corée du Nord devant lutter contre des famines endémiques. Mais les services secrets de tous les pays curieux d’en apprendre plus sur le train blindé du grand leader se sont en tout cas arraché le livre. Depuis la mort de Kim Jong-il, décédé d’un infarctus à bord de son train, nul ne sait si de nouveaux aménagements ont été décidés par son fils, réputé tout aussi bon vivant que son père. Les homards vivants et l’épicerie fine doivent continuer d’affluer vers le train à l’épreuve des balles et des regards. Certains observateurs, certainement bien renseignés, suggèrent que les mets préférés du président, fromage suisse, champagne et cognac, occupent à table une place de choix.

Disposant de tous les raffinements modernes, le train n’est pourtant qu’un concentré de technologie soviétique largement dépassée. Les wagons auraient été fabriqués dans les années 1980, et leur lourd blindage empêche la locomotive de dépasser les 60 km/h. Mais peu importe la vitesse, tant que le luxe est là.