Le grand pari du loto du patrimoine
15 millions d’euros : tels sont les bénéfices dégagés à ce jour par le loto du patrimoine, lancé le 14 septembre dernier. Les 12 millions de tickets à gratter vendus 15 € dans les bureaux de tabac devraient quant à eux s’écouler jusqu’à l’épuisement des stocks, qui devrait survenir après les fêtes de fin d’année selon l’estimation de Stéphane Pallez, P-DG de la Française des jeux. Avec près de 20 % des tickets vendus dans la première semaine, l’opération représente un beau succès, témoignant ainsi de l’attachement des Français à un patrimoine extraordinaire. Pourtant, cette initiative, aussi louable soit-elle, ne va pas sans provoquer certaines controverses.
Les premières briques du projet
Il aura donc fallu attendre 2018 pour que se mette en place un concept réclamé depuis 2001 par la Fondation du patrimoine et son président d’alors, François de Mazières. Porté par la ministre de la Culture Françoise Nyssen et par le présentateur Stéphane Bern, ce projet de loterie est entériné en septembre 2017. Dans la foulée, l’animateur est placé à la tête d’une mission gouvernementale chargée d’identifier les monuments qui bénéficieront des sommes dégagées. Si Bercy s’opposait catégoriquement à cette initiative, la persévérance des défenseurs du patrimoine a fini par payer, prenant comme argument les réussites obtenues par les pays européens ayant recours à ce mode de financement. La Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie font déjà appel depuis des années à ce type de loterie pour sauvegarder leur patrimoine.
Le concept n’est pas récent, puisque c’est le célèbre aventurier Casanova qui, réfugié en France, a élaboré dès 1758 le principe d’une telle tombola. S’invitant régulièrement parmi les discussions sur le patrimoine, l’idée de ce loto est reprise par Emmanuel Macron lors de sa campagne et désormais mise en application.
Richesse et pauvreté du patrimoine français
44.060. Tel est le nombre de monuments historiques inscrits au patrimoine français. Les plus emblématiques ne rencontrent guère de difficultés quant à leur entretien, comme le prouvent les 450 millions récemment débloqués pour la restauration du Grand Palais. Mais il n’en va pas de même pour la majorité des autres, qui méritent pour beaucoup le qualificatif de chefs-d’œuvre en péril.
Devant l’urgence à rassembler des fonds, la mission du patrimoine a élaboré une liste de 270 monuments prioritaires qui profiteront de la nouvelle loterie. Ce jeu permet de diversifier des modes de financement jusqu’à présent dévolus à l’Etat, aux collectivités locales ou au mécénat. Or, la situation se révèle critique : si les associations de protection estiment à 400 millions d’euros la somme minimum devant être consacrée au patrimoine, le budget de l’Etat ne se monte qu’à 332,9 millions. Les 20 millions que devrait dégager le loto du patrimoine soulagera quelque peu l’effort financier, sans pour autant constituer une solution totalement viable.
Des critiques au grattage et au tirage
Ces 20 millions d’euros doivent-ils être considérés comme un verre d’eau à moitié plein ou à moitié vide ? Les fonds récoltés seront répartis sous la responsabilité de la Fondation du patrimoine, un organisme privé indépendant chargé de promouvoir la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine. De nombreux édifices pourront ainsi bénéficier de la restauration ou de la mise en conformité qu’ils attendent de recevoir depuis longtemps.
Mais ces 20 millions d’euros ne constituent qu’une faible part des 200 millions de recettes escomptées, dont une grande partie reviendra aux joueurs (144 millions) et à la Française des jeux (22 millions). Les 14 millions de taxes récoltés par l’Etat ne seront par ailleurs pas destinés au patrimoine, ce qui a eu pour effet de provoquer la colère de Stéphane Bern. Devant la polémique, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a annoncé le déblocage de 21 millions d’euros supplémentaires en faveur du patrimoine. Avec ou sans controverse, l’opération sera quoi qu’il en soit reconduite en septembre 2019. Qu’elle soit considérée comme une aide appréciable ou au contraire insuffisante, cette initiative aura eu le mérite de sensibiliser les Français au devenir incertain d’un patrimoine exceptionnel.