Curitiba, chant du cygne ou nouveau départ ?
Pollution, embouteillages, accroissement anarchique de la population, logements insalubres, clivage entre quartiers riches et pauvres, transports en commun insuffisants… Curitiba, huitième ville du Brésil avec ses deux millions d’habitants, est confrontée aux problématiques qui sont le lot commun des grandes agglomérations. Pourtant, la cité a longtemps été saluée pour ses efforts en termes d’écologie et d’urbanisme. Au point que les noms de « Cidade Modelo », « Capital Ecológica do Brasil » et « Cidade Verde » lui ont été donnés et que l’UNESCO s’en est inspiré pour la reconstruction des villes afghanes. Les mutations des dernières décennies vont-elles avoir raison du modèle curitibain ?
Genèse d’un modèle
Curitiba, fondée par les Portugais en 1653, s’est développée au XIXe siècle du fait de sa situation géographique. Au bord de la rivière Barigui et sur le chemin emprunté par les éleveurs bovins se rendant à São Paulo, la ville devient vite prospère et est désignée en 1853 capitale de l’État du Paraná.
Dès le début de son existence, la cité est placée sous les auspices de ce que l’on ne nommait pas encore à l’époque le « développement durable ». Impressionné par la beauté des pins qui entourent la ville, le représentant de la province édicte des mesures réglementant leur abattage. Cet acte fondateur a depuis imprégné l’esprit d’une cité qui a longtemps servi d’exemple d’intégration urbaine réussie. En 1943, un nouveau cap est franchi avec l’adoption d’un plan d’urbanisme révolutionnaire, qui sera pleinement appliqué au début des années 1960. C’est au cours de cette période, sous l’impulsion de l’urbaniste Jaime Lerner, que la ville entame sa mue la plus significative.
Des habitants en symbiose avec l’environnement
Curitiba se dote alors d’objectifs ambitieux : la ville mise sur la préservation de l’environnement et de la biodiversité, sur un développement urbain maitrisé, et sur l’efficacité de ses transports en commun. Les bus desservant tous les quartiers de l’agglomération ont pendant longtemps fait la fierté de la ville. Les énormes véhicules du BRT, qui roulent au biodiesel, peuvent transporter chacun jusqu’à 270 passagers. Les stations de bus regroupent autour d’elles tous les services indispensables aux habitants, commerces, administrations, écoles et installations sportives.
Le bien-être des Curitibains a systématiquement été privilégié, tout en leur permettant de prendre conscience de la fragilité de leur environnement. C’est dans ce but que le contrôle de la qualité de l’eau de la rivière est effectué par des enfants, et que des lopins de terre ont été attribués à des familles nécessiteuses, à la condition de n’utiliser aucun engrais chimique. D’innombrables parcs servent d’abris à une faune variée et une offre culturelle bien supérieure à la moyenne nationale est proposée.
Cet éventail de mesures, dont seules les plus significatives sont ici mentionnées, ont permis à Curitiba de devenir l’une des cités les plus vertes du monde. Mais depuis la fin des années 1990, la ville est confrontée à des défis qu’elle peine parfois à relever.
Explosion démographique
La perspective de vivre dans une ville modèle a attiré quantité de nouveaux habitants. L’essor industriel, porté notamment par la présence de nombreuses usines automobiles, ainsi qu’un exode rural prononcé ont entrainé un accroissement massif de la population. Constituée de 650.000 âmes en 1970, celle-ci est en passe d’atteindre les deux millions d’habitants. Cet afflux massif a désorganisé toute la mécanique des transports : les bus ne sont plus adaptés au nombre croissant des voyageurs, qui doivent attendre jusqu’à 45 minutes avant de monter dans un véhicule. La voiture est de nouveau privilégiée, malgré les fréquents bouchons sur les grands axes engorgés et la pollution supplémentaire qu’elle occasionne. Des habitations insalubres se sont installées au bord de la rivière, à la merci de ses crues. De fortes inégalités sociales touchent les quartiers de la ville, qui enregistre une augmentation de la délinquance.
Une évolution qui doit être observée de près
La municipalité tente de réagir face à ces paramètres qui pourraient remettre en cause le statut de la ville. Une enveloppe de 32 millions d’euros a récemment été débloquée, qui permettra d’ouvrir une nouvelle ligne de bus, de créer des espaces verts supplémentaires, d’améliorer la voirie ainsi que le système d’assainissement. L’Agence française de développement assure quant à elle la réhabilitation des berges et supervise l’aménagement de nouvelles pistes cyclables.
Cela sera-t-il suffisant pour redorer le blason de la ville brésilienne ? Exemple quasiment unique de planification urbaine s’échelonnant sur le long terme, Curitiba a longtemps servi de modèle à de nombreuses villes vertes. Les problématiques rencontrées au cours des dernières décennies doivent donc être analysées avec attention, de même que les réponses mises en œuvre par la municipalité. Quoi qu’il arrive, Curitiba devra rester un exemple. Pour le meilleur ou pour le pire.