Rudy Ricciotti et l’architecture de combat
Personnalité iconoclaste et passionnée s’il en est, Rudy Ricciotti est un architecte internationalement reconnu, adulé, haï, mais qui laisse rarement indifférent. Retour sur le parcours, l’œuvre, mais aussi les combats de cet « amoureux fou » du béton.
Rudy Ricciotti demeure un cas à part dans le paysage architectural récent. Révélé par la réalisation dans les années 90 du Rock Stadium de Vitrolles, un imposant bloc de béton, non intégré à dessein, et profondément polémique, il s’est ensuite illustré par de nombreuses œuvres renommées, en France avec le MuCEM de Marseille en 2013 ou le Pavillon Noir d’Aix en Provence en 2006, comme à l’international avec la Passerelle de la paix à Séoul en 2000. Sa prochaine réalisation majeure, la rénovation de la gare de Nantes, devrait être inaugurée en 2019.
Rudy Ricciotti : une double identité culturelle omniprésente dans son travail
Rudy Rocciotti est né en Algérie en 1952, d’un père italien qui travaillait comme ouvrier sur les sites de construction. Ce dernier emmène constamment son fils avec lui sur les chantiers. On trouve sans doute là une composante essentielle de la personnalité artistique de Rudy Ricciotti : la culture et le respect de la construction, c’est-à-dire la réalisation technique du projet architectural. Ricciotti n’aura de cesse de mettre le génie constructif et la foi dans le matériau – notamment le béton – au cœur de la conception de ses créations.
Son enfance de pied noir, sa jeunesse passée en Camargue, puis ses études d’architecture faites à Marseille en font un méditerranéen par excellence. Gouailleur, volubile, accrocheur, mais aussi romantique et féru de poésie, Ricciotti est resté tout au long de sa carrière attaché à un savoir-faire et un processus de création local, en butte aux influences des institutions parisiennes et internationales, qu’il qualifie d’impérialistes.
Un amoureux du savoir-faire et du béton
Il n’est pas de tout repos de travailler avec Rudy Ricciotti. Il dit lui-même ne pas travailler dans l’hilarité mais au contraire dans un état d’anxiété et une prise de risque permanents. Les équipes d’architectes travaillant avec lui sont comme des « commandos libertaires » choisis pour leur proximité particulière avec le projet en cours. Il en dépeint la gestion, et celle des équipes de construction, comme un recours permanent au défi, à l’instar d’une corrida, où chacun est amené à se surpasser, à partager ce qu’il qualifie de « combat ». Il estime en effet que c’est l’enthousiasme et l’énergie qui doivent motiver la réflexion et le raisonnement, et pas le contraire. Il met d’ailleurs régulièrement les constructeurs à contribution dans la résolution des problèmes posés par ses réalisations. Il avoue ainsi de lui-même ne pas toujours comprendre comment ceux-ci parviennent à surmonter certains casse-têtes techniques qu’il leur a posés.
Le béton, son matériau fétiche et omniprésent dans ses constructions, participe pleinement à cette émulation générale. En artiste contemporain assumé, il voue une grande admiration à ce que la chimie est capable d’apporter au béton en termes de densité, de réaction à la compression et de potentiel technique et esthétique, et reste fasciné par la générosité et les ressources de ce matériau. Il n’oublie pas de révérer aussi la magie du coffrage, une affaire de constructeurs bien plus que d’architectes ou d’ingénieurs, et demande à l’ensemble de ses équipes de croire comme lui en ce matériau et d’en tirer la substantifique moelle, à savoir un équilibre entre jouissance et fonctionnalité qu’aucune autre matière ne saurait apporter. Mais le béton, selon lui et à son grand regret, a un avenir limité.
Rudy Ricciotti, l’iconoclaste
Car celui-ci est désormais honni. Repoussé par les bureaux d’étude, réprouvé par les décideurs, mis à l’écart même par les cimentiers car peu rentable, le béton est désormais un tabou de la construction. Ce qui a le don de mettre Rudy Ricciotti hors de lui. Et lorsque Rudy Ricciotti est en colère, il le fait savoir. Car c’est également un pamphlétiste et polémiste redoutable, prompt à pourfendre un système aux dérives nombreuses.
Il attaque notamment, avec une grandiloquence proche du situationnisme, le consumérisme omniprésent, mais aussi la « pornographie réglementaire » dans laquelle se vautre selon lui une administration omnipotente. Il dénonce « l’escroquerie à la morale environnementale » et l’infantilisation de ce débat impérieux. Il défend le béton, contre vents et marées. Les titres de ses ouvrages laissent peu de doute quant à son engagement : « Blitzkrieg, la culture comme arme fatale », « L’architecture est un sport de combat », « le béton en garde à vue »… Autant de manifestations d’une défiance forcenée face aux diktats de l’urbanisme, de la tyrannie culturelle parisianiste, et pour finir d’une modernité réduite à des conventions. L’identité culturelle locale est de ses chevaux de bataille elle aussi. Il déclare ainsi au sujet du MuCEM de Marseille qu’il s’agit d’un « acte de résistance aux mythologies nord-européennes. Le MuCEM n’est pas impérialiste, c’est un bâtiment sous influence locale. »
Rudy Ricciotti est de ces hommes excessifs, férocement libres et souvent exaspérants, qui ne peuvent se résigner à subir la médiocrité de leur époque. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, comment lui refuser le mot de la fin : «De toute façon on est dans la merde : il n’y a plus d’idéologie, on est dans le consumérisme, c’est une catastrophe totale. Alors l’important c’est de considérer l’architecture comme un projet romantique et révolutionnaire. Sommes-nous encore capables de transformer le réel ? Là réside l’aventure politique, théorique et révolutionnaire. Il ne faut pas penser comme les Sex Pistols qui disaient No Future, oui il y a un futur pour l’architecture ».