Le difficile décollage du nouvel aéroport de Berlin
Une grande fête était prévue en ce 3 juin 2012 pour célébrer l’inauguration du tout nouvel aéroport de Berlin. Les cartons d’invitation avaient été envoyés, de nombreux officiels étaient attendus, et un Airbus A380 aux couleurs de la Lufthansa aurait dû atterrir sur le tarmac du plus grand projet aéroportuaire européen. Destiné à remplacer les terminaux vieillissants et engorgés de Tegel, Tempelhof et Schönefeld, le Berlin Brandenburg Airport, plus communément appelé aéroport Willy Brandt, devrait donc être en service depuis trois ans, accueillant le ballet incessant des vols internationaux et desservant une capitale attirant de plus en plus de touristes. Pourtant, un cumul d’erreurs de conception, d’anomalies diverses et de graves manquements aux règles de sécurité les plus élémentaires ont obligé à un report de la date d’ouverture, provoquant une tempête politico-financière lourde de conséquences.
Seuls quelques curieux, appareil photo en bandoulière, viennent fouler les touffes d’herbes folles qui envahissent les pistes désertes. Quatre fois par semaine, un bus parcourt les 30 kilomètres qui séparent l’aéroport de la capitale, et débarque son lot de visiteurs incrédules. Le spectacle a, effectivement, de quoi surprendre, et confine parfois au surréalisme. Pour éviter que les mécanismes ne se grippent, toutes les infrastructures sont maintenues en fonctionnement. Panneaux d’affichage, escalators, tapis roulants et pendules ne font que souligner l’absence totale de passagers. Même le métro, dont les rames sont vides de voyageurs, circule une fois par jour, afin d’éviter que les rails ne rouillent. Sur le parking de 10000 places stationnent les quelques véhicules des 300 personnes chargées de la sécurité et de la maintenance du site, dont le coût d’entretien est tout de même estimé à 1 million d’euros par jour. Un personnel qu’il est difficile de croiser dans ce bâtiment de 40000m², dont les chaises recouvertes de plastique protecteur, les boutiques aux rideaux tirés et les comptoirs d’enregistrement abandonnés ajoutent au sentiment de malaise et de révolte qui s’empare des visiteurs. Beaucoup de Berlinois viennent constater le fiasco de ce chantier financé par des fonds publics, et donc par leurs impôts. Maigre consolation ; les visiteurs peuvent toujours se restaurer au Burger King, seul commerce en activité dans toute la zone.
De grandes ambitions
La genèse du projet remonte à 1996, lorsqu’est décidée la création d’une plateforme digne d’une capitale telle que Berlin. Le site de Schönefeld, qui abrite déjà un aéroport international, est retenu. La première pierre est posée en septembre 2006, pour une livraison prévue en 2010, puis 2012. Le chantier est colossal, et les devis fournis par les deux sociétés privées répondant à l’appel d’offre sont exorbitants. Klaus Wowereit, alors maire de la ville, décide par mesure d’économie de confier la construction à un établissement public créé pour l’occasion, réunissant à parts égales Berlin, l’Etat ainsi que le Land de Brandebourg. Sûr de son fait, l’édile se place lui-même à la tête du conseil de surveillance destiné à encadrer l’ouvrage. Avec un budget initial de 2 milliards d’euros et une capacité d’accueil de 22 millions de voyageurs par an, le Berlin Brandenburg International Airport, ou BBI, serait la grande réalisation de son mandat.
Série noire
Au fil des ans, la légendaire rigueur allemande est mise à mal par un amateurisme jusqu’alors impensable outre-Rhin. Première anicroche ; le nom choisi appartient déjà à un aéroport situé en Inde, obligeant les autorités à choisir une nouvelle abréviation. Les déboires se succèdent ensuite à un rythme régulier, dus en grande partie au manque de compétence des responsables du chantier et aux lourdeurs d’un fédéralisme ayant tendance à diluer les responsabilités. Début 2012, alors que la date d’inauguration approche, des tests anti-incendie pointent de graves défauts de sécurité, obligeant à un report de l’ouverture. Le sujet est sensible, le feu ayant ravagé l’aéroport de Düsseldorf en 1996, causant la mort de 16 personnes. Les experts chargés de la mise aux normes découvrent alors plus de 100000 défauts de conception en tout genre. Câblage défectueux, comptoirs d’embarquement en trop petit nombre, carrelage de mauvaise qualité qui se craquelle, escalators trop courts pour atteindre les étages… Seules 4% des installations existantes répondent aux normes, obligeant à de perpétuelles rallonges budgétaires pour obtenir une certification acceptable. Le budget, qui a plus que doublé, devrait dépasser les 5,7 milliards d’euros, selon les estimations les plus optimistes.
Une farce qui ne fait pas rire tout le monde
Les médias se sont emparés de l’affaire, la qualifiant de « débâcle », de « chaotique », de « scandale ». « Rasez cet aéroport catastrophe et laissez les Chinois en construire un nouveau », ose commenter le quotidien Bild Zeitung. Des journalistes américains et japonais viennent enquêter, au grand dam d’Allemands passablement vexés. Un jeu de cartes a même été commercialisé, qui consiste à collectionner une liste de problèmes techniques tous inspirés de la réalité. Démissions et licenciements se succèdent. Le directeur de la protection incendie, Alfredo di Mauro, avait menti sur son CV en se faisant passer pour un ingénieur. Horst Amann, qui exerçait la fonction de directeur technique, a été licencié pour incompétence. L’actuel président de l’aéroport, Hartmut Mehdorn, a annoncé en décembre qu’il abandonnera ses fonctions en juin 2015. Le scandale aura aussi fini par atteindre Klaus Wowereit, qui a démissionné en 2014 de son poste de maire de Berlin, qu’il occupait depuis 2001.
Un avenir incertain
Déjà différée à cinq reprises, la date prévisionnelle d’ouverture est avancée avec prudence pour fin 2017, soit onze années après le commencement du chantier. Mais les aspects techniques ne constituent pas les seuls problèmes du futur aéroport. Le cahier des charges, établi à la fin des années 1990, prévoyait une capacité d’accueil de 22 millions de passagers par an, un nombre qui se révèle aujourd’hui nettement insuffisant, et qui nécessitera la construction d’un bâtiment supplémentaire. Autre souci d’importance : la rentabilité, qui ne devrait être atteinte, au mieux, qu’après deux décennies de fonctionnement.
Véritable cauchemar pour Berlin et ses contribuables, ce nouvel aéroport n’est cependant pas la seule infrastructure d’envergure à rencontrer les pires difficultés, comme en témoignent les constructions laborieuses de la gare de Stuttgart et de la Philharmonie de Hambourg, deux grands projets qui accusent plusieurs années de retard et dont les budgets explosent. Ces échecs auront au moins l’avantage de remettre en question un processus décisionnel jugé trop rigide et bureaucratique. Ce qui, au milieu de toutes ces déconvenues, constitue pour les Allemands une maigre raison de se consoler.