architecture amphibie

Des villes entre le ciel et l’eau

Fin août dernier s’est tenue à Bangkok la première conférence internationale sur l’architecture amphibie. Une occasion de faire le point sur ce courant architectural en plein essor.

Depuis la nuit des temps l’homme a toujours privilégié les bords de mer pour s’installer. Il a aussi toujours rêvé d’une île-refuge, à l’instar de l’Utopia imaginée par Thomas More au 16ème siècle, où recréer un monde meilleur. Aujourd’hui, face à la montée des eaux et à la menace environnementale, les rêves futuristes rejoignent les préoccupations les plus pragmatiques à travers l’émergence d’une nouvelle architecture, l’architecture amphibie.

Ce mouvement est né aux Pays-Bas. Rien de surprenant au pays des polders et des canaux, où l’on résiste aux assauts de la mer depuis des siècles. Tout un symbole. C’est donc naturellement que ce pays est devenu pionnier de l’architecture amphibie ou architecture.

Ce courant architectural a son manifeste intitulé « Blue Revolution » rédigé par l’agence DeltaSync, à Delft (Pays-Bas). Le cabinet DeltaSync a réalisé notamment le « Pavillon flottant » installé dans le port de Rotterdam, un lieu d’exposition mobile dédié à l’architecture bleue.

« Nous cherchons à nous adapter à la mer»

L’architecte Koen Olthuis, cofondateur de l’agence Waterstudio, à Ryswick, en est l’un des maîtres à penser. Son slogan, « Green is good, blue is better » (Le vert, c’est bien, le bleu c’est mieux), illustre la double composante écologique et aquatique de ce mouvement, qui interpelle depuis une dizaine d’années politiques, urbanistes, et institutions internationales. Selon Koen Olthuis, 70 % de la population mondiale vivra dans des zones urbanisées d’ici 2050, dont les trois quarts sont situées en bord de mers. Pour lui, l’avenir consiste à bâtir des quartiers flottants, des îles, pour créer un urbanisme amphibie, comme il l’explique au journal Le Monde.

Un quartier entier de maisons flottantes, Ijburg, est en cours de réalisation au sud-est d’Amsterdam, construit sur plusieurs îles flottantes. En 2009 l’agence Waterstudio a conçu le projet Citadel, un projet de cîté flottante de 60 appartements située dans un polder inondable. « Nous cherchons à nous adapter à la mer, à l’accompagner, plutôt que de lutter avec elle » explique Koen Olthuis. En Afrique, l’architecte nigérian Kunlé Adeyemi a dessiné et réalisé une école flottante pour les enfants du bidonville de Makoko, sur la lagune, à Lagos. Flottant sur des barils, équipés de panneaux solaires, elle a vu le jour en février 2013.

Pour cela les architectes bleus ont conçu une technologie qui permet de rendre moins vulnérables les habitations côtières. «Lorsque l’eau monte, nos constructions y font face sans être submergées. » explique Koen Olthuis. En effet les fondations de ces maisons résilientes sont des flotteurs en béton renforcé remplis d’air mais tout de même liés au sol. Au final, l’édifice flotte sans se déplacer.

Une école flottante au Nigeria

Le géographe Louis Brigand, de l’université de Brest, interrogé par Le Monde sur ce nouvel urbanisme maritime, s’inquiète un peu. Il cite notamment les îles artificielles du projet « Bluewaters » créées au large de Dubaï par Meraas Developpement, dont les travaux ruineux ont durablement altéré les fonds marins. Selon lui, penser sauver l’humanité par des nouvelles îles relève de la fuite en avant. On ne fait que régler le problème à court terme, le déplacer, sans en traiter l’origine.

Malgré tout, le courant de l’architecture bleue ne cesse de croitre. C’est ainsi que s’est tenue, du 26 au 29 août à Bangkok, Icaade 2015 : la première conférence internationale sur l’architecture amphibie.

Des îles flottantes en réponse à la montée des eaux

Projet Lilypad par l’architecte Vincent Callebaut : cité flottante écologique et autosuffisante.

Projet Lilypad par l’architecte Vincent Callebaut : cité flottante écologique et autosuffisante.

Les partisans de l’architecture « bleue » pensent pouvoir répondre au problème posé par la submersion d’iles du fait de la montée des eaux. Le gouvernement des Maldives a lancé en 2020 un programme de constructions sur l’eau tant pour l’accueil des populations menacées que pour le tourisme : villages amarrés mais aussi îlots de plaisance, hôtels et golfs flottants. Les projets, à l’étude, sont encore très élitistes, car coûteux. Mais comme l’explique Koen Olthuis : « Les riches paient pour des prototypes qui serviront à tous ».

De même, le président de l’archipel de Kiribati, habité par 110 000 personnes, qui risque d’être englouti sous les mers d’ici 2030, envisage la possibilité d’une île flottante. Deux projets de ce type ont déjà été conçus par des architectes bleus. Le premier, le projet « Green gloat » est un ensemble de trois îlots végétalisés, avec une tour d’habitation géante et des fermes, du constructeur japonais Shimizu corp. L’autre est le projet Lilypad du Belge Vincent Callebaut, une grande île en forme de nénuphar, construite sur un flotteur de 500 mètres de diamètre, bâtie d’immeubles en terrasse équipés de panneaux solaires et d’hydroliennes, qui pourrait héberger 30 000 personnes.

L’île artificielle restera-t-elle utopie ou deviendra-t-elle bientôt réalité ? Les paris sont ouverts !